Cette histoire, il faut le préciser, date du début des années 2000, bien avant la généralisation du smartphone et de ses puissantes fonctions. C’est celle d’un chercheur grenoblois en matériaux, venu à Tokyo le temps d’un congrès scientifique d’une semaine.
Comme beaucoup de ses confrères étrangers, il est logé dans un hôtel, à presque une heure de métro de l’université qui accueille le congrès.
Mais ce randonneur passionné, amoureux des grands espaces, n’apprécie guère ces longs trajets dans des voitures bondées. D’autant qu’il faut emprunter successivement trois lignes, avec des temps de correspondance imprévisibles.
Un trajet en métro trop long pour être logique
Les deux premiers jours, notre chercheur s’accommode de la situation. Il prend le métro avec d’autres chercheurs logés dans le même hôtel, notamment un confrère de Kyoto qu’il a accueilli à Grenoble trois ans plus tôt.
Les deux hommes ont beaucoup à se dire et le temps passe vite. Mais le troisième jour, le chercheur grenoblois n’a plus envie de ces deux heures quotidiennes sous terre. Il rêve de voir la lumière du jour et le soleil printanier qui brille sur Tokyo…
Mais surtout, son instinct de randonneur lui dit que le cheminement suivi par le métro n’est pas « logique », qu’il est très éloigné de la ligne droite. Il y a forcément moyen de faire plus court.
« Il n’y a pas moyen de raccourcir le trajet »
Le chercheur questionne le personnel de l’hôtel : « non monsieur, lui répond-on, il n’y a pas moyen de raccourcir le trajet en métro. Et en bus ou en taxi, vous serez bloqué dans les bouchons ».
Il interroge ses collègues japonais, notamment son ami de Kyoto : « il faut que tu sois patient, sourit ce dernier. Voilà des années que je viens à ce congrès et que je loge à cet hôtel. J’ai essayé d’autres lignes et c’est toujours plus long. »
La sagesse serait d’accepter la situation. Mais notre chercheur est têtu. Ce matin-là, pendant le trajet en métro, tous ses sens sont en éveil, comme s’il cheminait en montagne dans un épais brouillard à l’approche de la nuit. En sortant de l’hôtel et en arrivant au centre de congrès, il observe aussi la position du soleil et le sens de déplacement des nuages.
Une heure en métro, une demi-heure à pied !
Et soudain, la réalité lui saute aux yeux : le trajet en métro fait un détour de plusieurs kilomètres vers l’est, puis revient vers l’ouest. A vol d’oiseau, il y a sans doute moins de deux kilomètres entre l’hôtel et le centre de congrès. Moins d’une demi-heure à pied en marchant sans se presser !
Heureux de sa découverte, il se précipite vers son confrère de Kyoto : « ce soir, je te propose de rentrer à pied. On profitera du beau temps et ce sera bien plus rapide qu’en métro ».
L’autre ne comprend pas : « comment peux-tu faire ce trajet plus vite à pied qu’en métro ? Je pense que tu te trompes et que tu vas te perdre. Tokyo est une ville immense et le métro est le moyen de transport le plus rapide.»
Mais le soir, évidemment, notre chercheur se lance à l’aventure. Il s’oriente à nouveau grâce au soleil, fait confiance à son instinct et s’élance.
Vingt-cinq minutes plus tard, il arrive face à son hôtel, heureux comme un enfant. Le trajet en ligne droite fait à peine deux kilomètres : il pourra éviter le métro jusqu’à la fin du congrès.
« Un piéton ne se déplace pas à la vitesse du métro »
Quand son confrère de Kyoto arrive une demi-heure plus tard et le trouve assis au bar de l’hôtel, il est stupéfait : « comment as-tu fait pour rentrer aussi vite ? »
Mais malgré les explications du chercheur grenoblois, il ne peut pas se rendre à l’évidence : « je ne comprends pas ce que tu me dis là. C’est impossible. Un piéton ne peut pas se déplacer à la vitesse d’un métro. »
Après une longue discussion, il accepte toutefois d’accompagner son ami le lendemain : tout chercheur est un homme curieux…
Les deux hommes quittent donc l’hôtel à pied le matin suivant. Pendant le trajet, le chercheur japonais s’inquiète, regarde nerveusement sa montre. Son collègue grenoblois sourit sous cape.
Quand ils arrivent devant le centre de congrès, le chercheur japonais s’arrête, sidéré : « je ne comprends pas, je ne comprends pas ». Il faudra un nouveau trajet à pied, le soir, pour qu’il admette pleinement la réalité.
Raisonner « hors métro » là où les autres pensent « tout métro »
Cette histoire illustre bien la puissance de la créativité pour déverrouiller des problèmes jugés inextricables. Au départ, les protagonistes considèrent le métro comme le seul mode de transport possible, et la durée du trajet comme une donnée déjà optimisée : impossible de faire mieux, tout a été essayé.
Puis arrive le chercheur grenoblois. C’est un créatif : il utilise son sens de l’orientation, sa capacité d’observation de données inexploitées (soleil, nuages) et sa curiosité pour élaborer une piste « hors métro », là où les autres acteurs pensent « tout métro ». Et il trouve.
Il lui reste à convaincre son entourage : la solution ne s’impose pas d’elle-même. Son collègue japonais aura besoin de deux trajets à pied (disons deux expérimentations) pour passer du scepticisme à la sidération, puis à l’acceptation.
Vous butez depuis des mois ou des années sur le même problème ? Vous savez qu’il existe forcément une solution mais vous ne parvenez pas à l’approcher ? La créativité vous propose de sortir du métro pour réfléchir à l’air libre. Appelez-moi pour en parler !